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Nicole de Pontcharra

mai 2011

 

 

Et si d’aventure…

Approfondir, changer d’angle de vision, de procédés, sans perdre une direction élue depuis qu’il s’est assis devant une feuille de papier, avec un crayon, c’est sans doute la posture originale et intrigante de Pierre Gaudu. La métaphore du lever du soleil m’est venue naturellement à l’esprit devant le déroulement des images, qui d’années en années, restituent une durée flamboyante, comme une montée du désir, arc tendu d’une recherche contemplative et nerveuse de l’absolu. Devant un coucher ou un lever de soleil nous sentons intimement ce qu’est le temps, dans son déroulement infini. Nous sentons que nous participons à un rituel identique et chaque fois nouveau. Rituel sacré procédant à la révélation d’un mystère auquel nous participons de tous nos sens. Mystère lié à notre appartenance au monde dans toutes ses phases présentes et à venir. Une poétique du monde nous est ainsi offerte. Depuis ses premiers dessins il apparaît que de la pointe de son crayon, de son burin, Pierre Gaudu est saisi de l’extrême tentation de soulever le voile, du mouvement de la main, avec son corps tout entier. Il tente de percer l’origine de l’élan de l’air, de l’eau, de la lave, du sang dans les veines, en se plaçant au cœur de tout ce qui palpite, de ce qui vit. Sans doute parce qu’il pressent qu’il obtiendra quelques éclaircissements existentiels aux questionnements qui l’habitent, aux émotions aigues qui ne cessent d’agiter son être.

Il s’adosse au temps. Il prend le temps.

Avec les merveilleux nuages et les volutes de l’air, les convulsions de la terre patiemment inscrites dans le gris, le blanc, le noir des premiers dessins signalant son appartenance à ce cosmos qu’il ne cessera d’interroger, de faire vivre. Les convulsions du trait, les nuances de la lumière étant aussi signes de l’état de ses humeurs. Le déplacement des lignes suivant le rythme de son propre pouls, de ses appels au secours d’homme mortel. Il regarde la nature, il regarde son corps, peau et viscères, intérieur et extérieur ne faisant qu’un. Le dessin consigne, recrée.

Dans sa capture d’une réalité qu’il se donne le temps de restituer il devait normalement à un moment ou un autre de son parcours utiliser la photographie. L’appareil double le regard, lui apporte une sécurité et une justification. Voilà une preuve. Pas la seule, certes, que la chose est bien là. Mais une preuve surtout, que lui l’a vue, ainsi, dans une certaine lumière, saisie aussi dans sa relation avec d’autres éléments naturels et mis en scène par son œil d’artiste. La photographie accompagne très vite et pour toujours sans doute dessin et peinture. Pierre Gaudu sait isoler une branche, quelques pierres, une paroi de montagnes, une touffe d’herbes sauvages. Créer ses jardins zen. Une photographie qui est une œuvre à part entière.

Le mot zen revient en face de paysages comme celui de la Grande Chartreuse peint en 1987 qui pourrait être l’œuvre d’un peintre chinois par les coloris, le toucher du pinceau, le raffinement de la composition. L’artiste ne se contente pas de repérer la beauté des formes et des couleurs, il restitue l’esprit d’une matière dont la force vibre en écho à celle qui l’habite. C’est dans ce va-et-vient entre le panorama et son émotion artistique qu’il compose ses grands paysages de la nature vivante qui sont autant de reflets de son âme.

En face de la série qu’il intitule Peinture d’après Delacroix, exécutées dans les années 90, et en particulier, La chasse au lion, il rassemble ses talents de dessinateur et de matiériste pour construire d’étonnantes histoires dont l’animal et la jungle sont le prétexte. Pas seulement car Gaudu pointe ce qui est vivant dans la nature,  mais là il y a une belle occasion d’aborder dans la violence, la frénésie des couleurs et du geste, vrai délire onirique, un thème qui lui permet de faire exploser l’aspect parfois méticuleux, précis comme un scalpel du dessin et de la peinture. Du rouge vermillon, du bleu, des références exotiques (ce n’est pas l’Orient mais l’Afrique) un romantisme échevelé qui sont autant d’indices pour faire naître une fraternité de sensibilité avec le grand Delacroix mais on reste dans l’univers de Gaudu où plantes, poils, feuillages et bêtes foisonnent dans un désordre organisé. Si l’on regarde alternativement La Chasse au lion, et les peintures montrées au Musée Géo Charles, Les Nuits Balinaises peintes quelques années plus tard, on a sous les yeux deux aspects du même génie pictural, ici choisissant le lyrisme, là, déterminé à composer à partir de tous ces matériaux engrangés une partition sérielle, répétitive, qui agit comme une musique lancinante. Chaque toile fonctionne d’une manière autonome mais elle est activée par celle qui la suit ou la précède, mouvement d’une symphonie, épiphanie du bonheur de peindre.

Dans sa recherche Pierre Gaudu passe alternativement de la figuration à l’abstraction. Il se nourrit du réel et le métamorphose à travers les fulgurances de l’intuition, le désir aussi d’une litote, c’est-à-dire d’exprimer le plus en disant le moins. Il multiplie les expériences, les quêtes.

Cet homme qui marche (encre de chine et gouache) peint en 2011, avec un clin d’œil à Giacometti, concentre les phases d’une création qui est à la fois en expansion et dans la rétention, la matière sensuelle est bien là ainsi que le mouvement qui anime la couleur ou le trait de Gaudu, mais au service d’une vision tenue, précise, celle de l’homme affrontant son destin, sa liberté.

Sans emphase ni lyrisme mais habité par une grande densité du vocabulaire plastique le dernier carnet de dessins offre des écritures, des formes, des traces, des empreintes, comme un alphabet magique où le lecteur, dans un paysage minimaliste, trouve les clefs d’une œuvre qui s’offre et se dérobe. Et c’est bien là l’une des forces de la création de Pierre Gaudu, j’allais dire malgré lui, car il n’y a pas de volontarisme dans sa démarche, même si elle est lucide, c’est d’éveiller le spectateur sans lui imposer une définition de son expérience. Marchez avec moi, semble-t-il dire, sur ces chemins d’aventure, et nous verrons ensemble où cela nous mène.

Nicole de Pontcharra

PUYGIRON

Mai 2011

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